Littérature burkinabè : Pourquoi Papa ? de Niteteza
- Écrit par Webmaster Obs
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Ce recueil de nouvelles publié aux Editions ICRA Livre en 2021 est signé alias Niteteza, nom de plume sous lequel se cache le Dr Simon Pierre Tibiri. A travers ces quatre nouvelles, on découvre une peinture des mœurs à travers la cellule familiale, le rapport amoureux, la condition de la femme.
Comment faire la critique d’une œuvre dont on est dédicataire sans que la subjectivité prenne le dessus sur l’objectivité de l’analyse ? Comment oublier l’ami de vingt ans pour aller, amnésique de ce passé partagé et libre de toute attache, à la découverte d’une toute jeune et nouvelle œuvre ? Ici, l’auteur a grandement facilité la tâche au lecteur en publiant son livre sous pseudo. Il suffit d’oublier Simon Pierre Tibiri et d’entrer dans le recueil de cet inconnu de Niteteza.
L’auteur fait partie de ces écrivains pour qui l’important est plus dans l’acte d’écrire que dans celui d’être lu. Ces nouvelles ont été écrites il y a longtemps et circulaient dans un cercle restreint de lecteurs constitués d’amis et de collègues. Ces nouvelles ont été écrites en 2002, 2006, 2011 et elles auraient pu rester de simples tapuscrits et dormir dans un tiroir, n’eût été l’insistance de quelques amis de les voir édités.
A travers ces quatre nouvelles réunies sous le titre éponyme Pourquoi Papa ?, titre de la première nouvelle, on découvre une plume fine, un univers à l’air presque parfait d’où, pourtant, surgit un fait qui le dynamite.
Dans pourquoi Papa ?, c’est une famille heureuse entre un père aimant et une fillette sage et pleine d’admiration pour son géniteur. Une famille si heureuse mais semblable à ces vases en porcelaine qui trônent dans le salon et dont un petit geste suffit à les briser en mille morceaux. Ici, la petite fille marchait trop vite, au goût de son père. Et voilà que la furie dudit père, comme une subite tornade, s’abat sur la jeune enfant.
Dans la nouvelle Une journée de Zah’an, c’est aussi un monde presque parfait qui se transforme en enfer après le départ de la mère. C’est l’histoire d’une fillette, brillante à l’école, à qui la violence familiale a volé l’enfance et l’avenir. Une trajectoire qui bifurque parce que la violence du père a brisé l’harmonie familiale.
La jacquerie de Jules, c’est aussi l’histoire d’une idylle amoureuse qui vire au tragique quand l’amant découvre que rien n’était vrai dans cette relation. Une histoire entre un Roméo claudicant et une Juliette totalement ingénue qui finit par une détonation qui déchire le silence de la nuit.
La dernière nouvelle, Mélancolies insondables, est d’une brûlante actualité au regard des tribulations d’un convoi militaire français dans le Sahel ; c’est l’histoire de la relation ambiguë entre la France et ses anciennes colonies, présentée sous la métaphore de la famille polygame avec l’enfant (l’intellectuel) qui se plaint de la condition de ses mamans.
En somme, toutes les nouvelles de ce recueil baignent dans le clair-obscur de l’existence. Rien n‘est tout blanc, rien n‘est tout noir, tout est en nuance, le monochrome n’existe pas. Mais que ce soit dans Pourquoi Papa ?, dans La Jacquerie de Jules ou dans Une journée de Zah’an, ce sont les femmes qui sont les victimes de la déflagration de leur univers.
La force de cette œuvre réside à la fois dans la dénonciation sans pathos de la place de victime assignée à la femme dans toutes les strates de la société, que ce soit dans le monde rural ou celui urbain, et dans la qualité de cette écriture tout en économie de mots mais génératrice d’une profusion d’images. On pourrait trouver une proximité entre l’écriture de Niteteza et celle de Kawabata par l’absence d’intellectualisation de leur texte et le primat accordé à la peinture tremblée du monde.
Saïdou Alcény Barry